Théodule Ribot, la révélation d’un peintre au Musée des Beaux-Arts de Caen
L’exposition Théodule Ribot (1823-1891), une délicieuse obscurité est à découvrir jusqu’au 2 octobre, au Musée des Beaux-Arts de Caen. Elle a demandé un important travail de recherche et de collaboration sur près de cinq années entre les directeurs-conservateurs des Musées des Beaux-Arts de Toulouse, Marseille et Caen.
Une première rétrospective a eu lieu en 2019, à l’initiative des Musées de Courbevoie et de Colombes, ville où le peintre s’est éteint.
Ribot retient immédiatement l’attention par ses natures mortes et son intérêt pour les petites gens. Les œuvres sobres et expressives invitent à la découverte d’un artiste talentueux qui a traité différents thèmes avec un regard humaniste.
Un peintre indépendant
Singulier, hors des courants, Ribot avait une personnalité intègre et indépendante. De santé fragile, le peintre a connu une vie difficile et des soucis d’argent – cette préoccupation apparaît dans de nombreuses toiles dont les personnages comptent des pièces. Il a transmis son art à son fils Germain-Théodore Ribot (1845-1893) et à sa fille Louise Ribot (1857-1916) qu’il a représentée à différents âges. Essentiellement autodidacte, Ribot s’inscrivait dans une dynamique d’apprentissage ne s’enfermant dans aucune thématique. Admirateur des maîtres anciens notamment du Siècle d’or espagnol, il admirait aussi Courbet, Millet, Corot et avait comme amis d’éminents artistes tels que Théophile Gautier, Boudin, Fantin-Latour. Les critiques ont été contrastées, il lui a été reproché ses tons trop noirs. Le peintre n’a pas hésité à montrer le sale, la pauvreté, des visages ravagés par l’existence.
L’exposition du Musée des Beaux-Arts de Caen propose une scénographie cohérente avec près de quatre-vingt-dix tableaux issus de collections françaises et internationales. Tout un pan de mur reconstitue le modeste atelier-grenier mal éclairé où peignait Ribot, à Colombes. Sa peinture permet une impression de proximité.
Des natures mortes novatrices
La nature morte est au cœur de son œuvre. Il y a de la simplicité, une économie de moyens et du spectaculaire. Ribot choisit des motifs inattendus comme les œufs en jouant habilement sur les pleins et les vides et même un crâne de mouton. Un Gigot, à l’effet d’œil noir dans la viande, est avant-gardiste bien avant Soutine. Sur fond noir, les rendus de matière semblent envelopper chaque objet ou victuaille. Pour Ribot, la nature morte est “l’exercice préparatoire le plus instructif, le plus profitable, le plus sûr à l’étude du portrait ou du nu”.
À son premier Salon en 1861, Ribot connaît le succès pour ses peintures sur les cuisiniers qui coïncident à l’essor des restaurants et de la gastronomie. Sur ce thème, il est précurseur avec Bonvin. Il inspirera Joseph Bail (1862-1921) dont la toile Marmiton portant des rougets, éclatante de jeunesse et d’audace, éclipse les autres tableaux du même thème.
Les portraits et scènes de genre traduisent un fort intérêt pour l’humain. Les personnages sont absorbés dans leurs pensées. Les mains très travaillées appellent au mouvement et “donnent de l’esprit aux têtes.” Ribot s’essaie également à la figure de fantaisie notamment par une série consacrée aux musiciens – il a illustré au début de son parcours des partitions.
Dans les années 1860, il réalise des compositions religieuses, des grands nus suppliciés. Il traite aussi du sujet des fables et des penseurs. La peinture d’Histoire reste radicale, son talent remarquable.
Scrutateur de l’âme, Ribot offre une intériorité par de riches empâtements et d’habiles contrastes. Les jeux d’ombre et de lumière animent la texture, le dessin des rides, l’intensité du regard. Il revisite les œuvres admirées, en suivant son propre chemin à rebours de son époque.
Cette exposition d’envergure autour d’un peintre méconnu est un choix courageux qui apporte une avancée. C’est une rencontre avec un grand peintre à la personnalité humble et attachante.
Fatma Alilate
Catalogue Théodule Ribot (1823-1891), une délicieuse obscurité par Emmanuelle Delapierre, Luc Georget, Axel Hémery, Dominique Lobstein, Louise Sangla, Dr. Gabriel P. Weisberg ; 256 pages couleurs, édition Liénart, 30 €.
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